The past never leaves us

The past never leaves us ...

La conclusion à laquelle arriva notre louloute, c’est que le passé ne nous quitte jamais. Même si on le voudrait. Même si, de toutes nos forces, on tente de s’en débarrasser, de le faire s’en aller. Il ne part jamais. Et, aussi triste que cela puisse paraître de conclure une chose pareille, Hänwa ne s’en sentait pas plus mal. Elle avait compris une nouvelle chose qui, sans doute, lui servirait encore longtemps. Elle avait percutté, désormais : aller de l’avant devrait être son seul et unique but. Y arriverait-elle ?

Comme pour confirmer ses pensées, ses pattes s’arrêtèrent. La jeune chienne s’immobilisa et posa son regard sombre sur le mont. Un tas de souvenirs s’incrustèrent aussitôt dans son esprit, refusant obstinément de la laisser en paix. Elle eut beau secouer vivement la tête, forcer ses pattes à rester en place, rien à faire. Un pas après l’autre, tout doucement, elle avança cependant indéniablement en direction de la montagne. Vous voyez, que vous disais-je ? L’appel irrésistible du passé. Même si elle savait parfaitement de quoi il s’agissait. Même si elle était consciente qu’il valait mieux tirer un trait à jamais sur cette vie qu’elle n’aurait désormais plus. Elle ne pouvait cela dit s’empêcher de marcher. La chienne gémit, aux proies avec elle-même. Elle ne voulait pas. Non !

Si seulement quelqu’un pouvait l’interpeller, juste maintenant. Lui dire … n’importe quoi. Ou se poster brusquement devant elle. Lui tirer la queue ? L’attaquer ? La mordre ? N’importe quoi … Quelque chose. Quelqu’un. S’il vous plaît ?

M

Ses attentes ne furent en aucun cas exaucées. Mais, malgré tout, Hänwa n’était plus seule. La jeune chienne tressaillit, immobile, elle ne fit plus un geste. Oui, elle pourrait tout aussi bien continuer son chemin. Oui. Mais elle n’en ferait rien. Parce qu’elle attendait une raison d’aller de l’avant, de continuer mais pas dans cette direction. Cette métaphore pourrait vouloir dire tellement. Prise au premier degré, elle n’apporte rien que la stricte réalité. Mais prise au second degré, que voudrait-elle dire ? Une plombée d’hypothèses et aucune qui ne semble vouloir coller. Ou alors … elles semblent toutes plus vraisemblables les unes que les autres. Dans tous les cas, elle avait trouvé sa raison. Au premier ou au second degré, elle l’avait. Il lui suffisait d’interpréter, désormais.

La grande chienne blanche se retourna. Elle dévisagea l’inconnu blanc comme la neige, de haut en bas et … elle lui sourit. Il pourrait mal le prendre. Mais ses intentions à elle n’étaient pas mauvaises. Au contraire. Elle ignorait totalement ce qu’elle cherchait à faire. Elle ne se concentrait pas plus sur la répercutions de ses actes. Elle verrait bien comment il réagirait, et elle s’adapterait en fonction de ce qui se passerait ensuite.

Allez savoir ce qui lui passa par la tête, à cet instant. Tout vaudrait mieux que de penser au passé. Toute joyeuse, elle s’élança en trottinant vers l’inconnu et se planta à trois mètres, devant lui. Elle inclina la tête, comme intriguée et, d’une voix douce mais pleine d’entrain, elle lança :

« Bonjour ! »

Oui, ils ne se connaissaient pas. Mais qui interdisait la politesse et l’amabilité. Après tout, sa joie de vivre était parfois contagieuse. Mais quelque chose lui disait qu’elle n’avait pas forcément à faire à un être enjoué comme elle l’était. Néanmoins, elle essaierait. Et puis, comme je vous l’ai dit, elle s’adapterait suite aux réactions de l’inconnu. Mais elle n’en dit pas plus. Inutile de se présenter, de lui poser tout un tas de questions, de l’écraser sous un bloc de compliments ou que sais-je. Elle préférait attendre. Son sourire doux, franc, ne s’évanouit pas. Elle en était persuadée, la bonne humeur pouvait-elle contagieuse et elle le prouverait, d’une manière ou d’une autre.

La

*Enfin je pense …*

C'est court U.U

Elle ne s’attendait absolument pas à ce qui allait arriver. Elle avait prévu un grognement, une remise à l’ordre, des paroles froides, tranchantes, cinglantes, blessantes. Mais rien de tout ça. Elle eut droit à pire, en fait. Il baissa la tête, ne la regarda même pas, si bien qu’elle se demandait s’il avait entendu. Et puis, sans lui adresser ni mot, ni regard, il la dépassa, comme si elle n’existait pas. Comme si elle n’avait jamais ouvert la bouche. Comme si … comme si elle n’était rien d’autre qu’un coup de vent. Hänwa écarquilla les yeux, la bouche entrouverte. Elle dévisagea le chien blanc qui, maintenant, était un peu plus loin, devant elle. Elle hésita. Peut-être dérangeait-elle ? Mais, au fond, elle n’était pas bête, elle savait bien que quelque chose ne tournait pas rond.

« Hey ! »

Ces mots ne sonnèrent pas méchamment, ni violents, ni brusques. Doux. Comme ses précédentes paroles. Hänwa était faite de douceur, elle ne vivait que pour ça. L’agressivité ne servait à rien, selon elle. Ainsi, elle avait interpellé le chien, avant de courir, se ramenant instinctivement à son hauteur. Peut-être allait-il s’énerver, la provoquer et la faire partir. Mais peut-être pas. Et elle se raccrochait à cet espoir. Peut-être pas…

« Est-ce que ça va ? »

Hänwa avait bel et bien tendance à se mêler de ce qui ne la regardait pas. Mais en aucun cas ce n’était méchant ou impoli. Loin d’elle cette idée. En fait, cette tristesse que dégageait le chien inconnu la blessait profondément. Etrange, n’est-ce pas ? Son empathie était si développée qu’elle fonctionnait même sur des chiens qu’elle ne connaissait pas. Elle se sentait mal de le voir dans cet état. Si tout allait bien, dans sa vie, il lui aurait répondu. Sans doute. Ce n’était que des hypothèses. Et elle désirait aider, autant qu’elle le pouvait, même si elle ne le connaissait pas. Même s’il risquait de ne pas apprécier. Elle voulait se rendre utile et … l’aider à retrouver le sourire.

« Tu as l’air bien triste. »

Juste préciser que sa familiarité n’était pas arrogance ou impertinence. Juste inquiétude, qui perçait le son de sa voix. D’ailleurs, cette inquiétude couvrait le tutoiement et le côté familier dont elle faisait preuve sans même s’en rendre compte.

J’étais

-Triste ?

-La tristesse, n’est rien d’autre pour moi qu’un signe de faiblesse. Retient ça, la tristesse, Garde la pour toi.

Garder la tristesse pour soi ? Mais elle était tellement visible que même camouflée, elle finirait par se remarquer. Il suffisait d’ouvrir les yeux pour la voir, de cligner quelques secondes pour que ses traits se dessinent plus clairement, plus concrètement. C’était si simple qu’elle en fut estomaquée qu’il n’ait rien remarqué. Mais il lui avait parlé. Après tout, c’est ce qu’elle avait souhaité. Pouvoir parler à un n’importe qui et faire en sorte qu’il la dissuade de monter, d’aller rejoindre son passé pour vivre en plein dans ce dernier. Mais le passé ne nous quitte jamais. Et elle allait l’apprendre à ses dépends, plus encore que ce qu’elle connaissait déjà. Elle ignorait à quel point cette phrase sonnait vraie.

Hänwa sourit, compatissante. Il était triste. Seulement, il refusait peut-être de l’admettre. Ou alors, c’est que ça ne la regardait pas. Il n’était effectivement pas aussi enjoué qu’elle. Il était même plutôt distant. Mais, quoi de plus normal. La jeune chienne avait vu tellement d’autres de ses semblables réagir de la sorte. Ca ne la choquait plus. Ca la rendait triste. Et sa tristesse n’était pas cachée. Elle ne la garderait pas pour elle mais elle ne l’exhiberait pas non plus aux yeux de tous. Encore une fois, l’inconnu blanc s’éloigna. Elle n’eut pas le temps de parler, de l’interpeller et de lui donner son avis. Etait-il vexé ? Enervé ? Il se mit à courir et elle, elle restait là, choquée une nouvelle fois. Il devait la prendre pour une folle, embêtante qui ne se mêlait pas de ce qui la regardait. Mais tant pis. Les préjugés étaient tellement bas …

La chienne des Pyrénées suivit néanmoins l’inconnu. Plus discrètement, elle le laissa courir et prendre de l’avance. Les montagnes, elle connaissait. S’il avait besoin de solitude, elle comprenait. Mais elle n’en démordrait pas. Autant était-elle douce, autant était-elle déterminée. Elle n’avait pas pu lui dire ce qu’elle aurait voulu et elle comptait bien remédier à cette situation. Suivant un autre chemin que lui, grimpant dans les montagnes, elle se mit à courir, hors de vue, pour arriver à la hauteur de l’inconnu blanc.

Là, elle le voyait ! Elle s’apprêta à lui hurler son point de vue, sa réponse qu’il n’avait pas attendue. Mais au moment où elle se pencha pour prendre une bonne inspiration, sa patte avant se tordit et elle dérapa. S’ensuivit un dérapage brutal qui lui arracha des gémissements et un hurlement plaintif. Elle se prenait les rochers, autant dire que ce n’était pas agréable. La pente n’aidait pas et son gabarit non plus, quoiqu’il lui permit juste de rester en vie. Elle vint s’écrasa à un mètre derrière l’inconnu blanc, pitoyablement, le souffle coupé. Morte ? Non, non, pas encore. Mais bien amochée.

Le destin vous confit parfois des missions bien étranges. Il vous fait connaître d’autres lieux, vous fait apprécier certaines choses et vous dégoûte d’autre. Mais ce qu’il m’a confié en ce moment et le pire de tout. Une chienne, qui était de nature enjoué, et qui cherchait ce qui n’allait pas chez moi. A vrai dire, rien ne va chez moi, mais je suis comme ça, et ça ne changera pas de sitôt. Je souffre peut être, mais la souffrance est un bon prix à payer pour devenir plus fort. La souffrance m’est due comme beaucoup d’autres choses que vous n’oseriez même pas imaginer, tellement elles sont horribles. Le destin à été funeste avec moi, comme il a été avec tant d’autres, mais ce n’est pas pour cela que je m’en plains. Ho non, pour rien je n’implorerai le destin.

Cette chienne, dont je ne savais pas encore le nom, me suivait. Je le savais puisque, je pouvais flairer son odeur à quelques centaines de mètres. Qu’allait-elle chercher à faire ? N’avait-elle pas comprit qu’il ne fallait plus me parler ? Je n’étais pas de nature enjoué comme elle, loin de là, alors pourquoi s’acharnait elle ? J’entendis un bruit quelques mètres plus hauts, relevant la tête je repérai le chienne. Elle s’apprêtait à parler quand, une de ses patte se déroba sous son corps, qui dévala la pente suivit de gémissements et de plaintes. Un mouvement instinctif me percuta, mais je n’eus pas le temps de faire quoi que ce soit, elle était déjà quelques mètres derrière moi.

La blanche, désormais grise ne bougeait plus. Meurtrit par sa chute, elle avait sûrement perdue conscience. Dans un cas comme celui-ci, je serais partit, laissant la bête agoniser, ou bien se faire manger par des bêtes. Mais cette chienne n’était pas normale… Malheureusement … Je la fixai, ne sachant que faire. La toucher ? Sûrement pas, et puis quoi d’autre ? Lui lécher ses blessures aussi tant qu’on est dans les absurdités ! Je me contentais de la détourner et de me coucher devant elle pour faire fuir les charognards ci ceux-ci se présentaient. Elle ne respira pas pendant une bonne minute avant de reprendre difficilement son souffle, qui se fit saccadé.

-Si tu serais simplement partit, on aurait pût éviter tout cela …

Je libérai un souffle et déposai ma tête sur mes pattes avant. Maintenant s’en était presque sur, je n’atteindrai pas le sommet avant le lendemain. De plus, si la femelle se mettait à me faire la causette, je ne sais pas de quoi je serais capable pour avoir un peu de silence. Ce silence que j’aime tellement. Je la surveillais du coin de l’œil, sans plus, pour ne pas éveiller des soupçons de sa part. Une fois qu’elle irait un peu mieux, et qu’elle pourra repartir chez elle, je la laisserai et repartirai explorer les monts. Dévoilant quelques mystères, m’occupant pour ne pas penser aux souvenirs encore trop intenses.

Pendant une bonne et longue minute, Hänwa cherchait à reprendre son souffle. Elle ignorait qu’elle avait sans doute perdu connaissance. Très peu de temps mais assez pour l’inquiéter. L’oxygène brûla soudainement sa gorge et s’engouffra avec une violence intense dans ses poumons. Ca y est, elle respirait de nouveau. Un couinement de douleur s’échappa de sa gueule. Son flair ne lui servait plus à rien, elle ne distinguait plus aucune odeur. Elle tenta désespérément d’ouvrir les yeux mais ceux-ci restèrent clos, aveuglés par la lumière qu’elle n’avait plus vue depuis … depuis combien de temps déjà ? La jeune chienne était totalement sonnée mais elle essayait de raisonner au mieux. Etait-elle seule ?

Le bruit de l’inconnu blanc qui se posa sur le sol, non loin d’elle, traversa ses tympans. Elle tressaillit. L’avait-elle énervé ? Allait-il l’achever ou … ou la laisser là ? Elle se ferait dévorer alors qu’elle était encore en vie. Elle ne voulait pas mourir, non, non ! Elle ne voulait pas trépasser de la sorte, dans ces circonstances immondes. Elle ne se le pardonnerait jamais ! Elle avait à peine vécu.

La voix de l’inconnu s’éleva, s’adressant sans doute à elle, la coupant de ses pensées macabres. Elle gémit, lui faisait remarquer qu’elle l’entendait, heureuse, soulagée. Mais elle ne bougeait plus, les paupières closes et les poumons ardents, son flair n’était toujours pas utilisable, à sa grande exaspération. Elle mit un moment avant de comprendre ce qu’il disait, d’entendre ses reproches qui lui étaient clairement et simplement adressés.

« Dé…so…lée. »

Sa voix saccadée expulsait la souffrance qu’elle subissait en cet instant, murmure à peine audible. Une souffrance qu’elle ne connaissait que trop peu. Elle ignorait comme ça faisait mal, parfois, comme la vie était douloureuse, injuste. Et encore, elle n’avait pas à se plaindre. Rassemblant ses forces, elle s’obligea à sourire, sans le voir pour autant et, dans un souffle du même genre que le premier, elle tenta de s’adresser à son inconnu :

« Pars … »

C’est tout ce qu’elle réussissait à dire. Un mot à la fois. Elle aurait voulu pouvoir plus. Mais au fond, sans le savoir, elle faisait bien de ne pas trop en rajouter.