*Est-ce que ce monde est sérieux ?

*Musique d'ambiance.

Il faisait noir, je n’arrivais pas à ouvrir mes paupières. Je savais, je savais directement ce que j’allais voir. Encore ces deux phares, ils sont venus pour moi cette fois. Ils vont enfin enlever ma peine, ma souffrance ? Mais non, ils étaient là, mes jeunes frères. J’avais vieillis, mais pas eux. Ils étaient jeunes et heureux, ils bondissaient, encore et encore. Ils ne me voyaient pas, et pourtant, je passais devant eux, hurlant…

« Partez vite ! Ils vont venir vous enlever… »

Ils ne m’écoutaient pas, j’étais transparente. Ils riaient encore et encore. Je sentais les larmes monter en moi. Je n’en voulais pas, j’essayais de les empêcher de monter jusqu’à mes yeux. Je déglutissais, encore et encore. La scène fut lente, comme s’il fallait que je souffre, comme si c’était fait exprès. Je n’en pouvais plus, j’ai hurlé, aboyé, grogné contre eux. J’ai voulu leur attraper la chair, mais, c’était impossible. La peau de leur cou m’était inaccessible, pourquoi !? Je me retournais, les phares étaient là, ils me souriaient, de leur sourire mesquin. Je sentis mon cœur me faire si mal. Je pleurais, les larmes coulaient comme une fontaine sur mes joues.

« Partez vous dis-je ! Vous allez mourir, regardez… Partez… »

Mais trop tard, je ne pus que me reculer, tout se passa comme la première fois, devant mes yeux. Je crus que mon cœur allait s’arrêter, comme à chaque fois. Les mots ne purent plus sortir de ma bouche, je pleurais, je me morfondais. Je voulais hurler ma peine au monde. Mais comment, comment ? Depuis cet instant, comme voulez-vous ne pas devenir féroce ? Ils m’ont enlevés mes trois êtres chers. Devant mes yeux, et je n’ai rien pu faire, et je ne pourrais rien faire.

Mes yeux s’ouvrirent d’un coup, j’avais les larmes aux yeux, comme chaque matin où je faisais le rêve en question. J’éternuais. Où étais-je ? Face à moi un désert immense, devrais-je entrer dedans ? Devrais-je oser la légende ? Et si j’y mourrais, ma souffrance serait-elle alors oubliée ? J’avançais, je verrais bien. Mon ventre me tiraillait j’avais si mal. Je voulais oublier. Mes coussinets brûlaient sur le sable, mais ce n’était rien comparé à ce que je vivais. J’avançais…

Mais qu’est-ce qu’elle fichait par ici, bon dieu ! Hänwa n’aurait pas dû bouger, ce matin. Mais elle n’en pouvait plus de ressasser le passé en haut, en large et en travers. Elle allait exploser, si ça continuait. Elle avait besoin de se changer les idées. Malheureusement, quand notre boule de poils géante décidait une telle chose, elle-même ignorait où elle allait. Elle marchait pour marcher, vagabondait pour vagabonder. L’appel de la nourriture, peut-être ? Ou celui de la nouveauté, qui sait. Mais elle n’aurait jamais dû s’aventurer par-là. Non seulement parce que le coin était certainement dangereux, sans doute mal fréquenté mais surtout … surtout parce que la chaleur, ce n’était pas son truc. Bien que la pluie printanière, avec un peu de chance, aurait vite fait de la tremper.

Cela dit, elle ne quitta pas la montagne pour se retrouver sur les plaines en deux minutes et trois enjambées, vous vous en rendez bien compte. Il lui avait fallu beaucoup marcher et longtemps. Mais la jeune chienne aimait ça. Et puis, elle était curieuse de voir à quoi ressemblait un peu l’île. Elle qui avait été tenue de rester dans les montagnes pour s’occuper des gens et du bétail. Voilà qui la changeait totalement. Elle n’en avait absolument pas l’habitude. Mais ce n’était pas pour lui déplaire, en fin de compte.

C’est donc totalement épuisée qu’elle fit une halte, arrivant sans s’en rendre compte, aux abords du désert. Sa soif commença à se faire sentir, bien plus que la faim. Cette dernière pouvait être réprimée, même pour une chienne de son gabarit. La soif, elle, elle ne pourrait être rien d’autre que meurtrière. Mais les points d’eau étaient rares et Hänwa venait de poser les pattes sur un chemin tortueux. Elle allait devoir retourner ciel et terre, sans doute, pour sortir d’ici vivante. Ou … avec un peu de chance ? Après tout, nous ne sommes jamais à l’abri du hasard…

Quoique, Hänwa s’en rendit soudain compte, elle n’était pas si profondément enfoncée dans ce désert. Les abords restaient les abords et elle pouvait toujours reculer et revenir sur ses pas. Cette idée ne l’enchantait pas mais elle se devait de bien réfléchir, était-elle tout de même plus intelligente que l’autre ? Celle qui lui disait d’aller de l’avant, de jouer avec l’aventure et, par la même occasion, avec sa vie. La jeune chienne tressaillit alors que son regard se posa sur une forme allongée. Un autre chien ? Mais … que faisait-il ? Instinctivement, la voix douce de la chienne des Pyrénées s’éleva pour avertir l’inconnu (elle ignorait encore qu’il s’agissait d’une femelle), montant dans les aigus sans qu’elle ne l’eut voulu :

« Hey ! Attends ! C’est dangereux ! »

Et comme pour l’en dissuader avec plus de force, Hänwa se mit à courir, prenant la direction de la dalmatienne, la rejoignant sans penser qu’elle pourrait se faire remettre à l’ordre.

« Hey ! Attends ! C’est dangereux ! », qui était-ce ? Qui tenait assez à moi pour m’interpeller ? Un de mes frères ? Je souriais. Pourtant, cette voix féminine était loin d’être celle de mes souvenirs, mais la confusion portait à l’oubli. Je me retournais, heureuse. Mais cette mine partit très vite. Quand je vis un ours blanc approcher près de moi. Mes oreilles se décalèrent vers l’arrière. Un grondement sortit soudain de ma poitrine, qu’elle parte, qu’elle me laisse, je voulais en finir. Ca ne la regardait pas, elle.

Je repris ma route, l’ignorant, j’avais trop chaud et trop soif pour m’y attaquer. Et pour moi le chemin du retour c’était déjà effacé. C’était une place sans issue, comme refermé derrière moi. J’étais prisonnière. J’agonisais déjà, les larmes s’étouffèrent dans ma voix, j’égosillais, je voulais que tout s’arrête et ce rapidement. Mais le regard abattu de cette chienne me revint, avait-elle un sentiment de pitié envers moi ? Osait-elle l’avoir ? Je me retournais, la rage revenant dans mes veines pleines de ce poison. J’ouvrais grand ma gueule, mes crocs acérés se dévoilant. Surtout la bave rageuse qui s’éclata sur le sol pour vitre disparaître, celui-ci étant brûlant.

« En quoi c’est dangereux ? C’est une libération tu sais ? Aurais-tu peur de la mort ? Petit être civilisée ? »

Je me trompais peut-être sur son rang, mais elle en donnait tout l’air. Si calme, si jolie, si bien entretenue. Je n’avais jamais connu ça, moi. J’avais toujours vécu dans les rues, dans les cartons trempés par la pluie, par le malheur. J’avais toujours été squelettique et effrayante. Mais j’avais connu le bonheur et la joie. J’avais eu des souvenirs heureux, mais un suffisait à me rendre malheureuse, celui qui revenait tous les soirs, qui me hantait.

Oui elle se trompait et même totalement. Mais bon, elle ne pouvait pas deviner. Et, après tout, ce n’était pas bien important. On se fichait pas mal, en ce moment de savoir d’où elle venait ou ne venait pas. Qui elle était n’importait que peu. Le centre d’attention à cet instant, c’était surtout la dalmatienne. Elle qui semblait si agressive. Qu’est-ce que cela cachait ? Une sensibilité blessée, ravagée, détruite ? Etrangement, la chienne blanche n’en doutait pas. Elle ne se laissa pourtant pas déstabiliser par la méchanceté de la femelle en face d’elle. Ses mots l’avait perturbée mais pas ceux qui lui étaient adressés, non, les autres, ceux qu’elle s’adressait à elle-même. La délivrance, disait-elle ? Cette idée l’interpella, la choqua, presque. Non, la choqua, point.

« La mort n’apporte rien de bon. Oui, elle me fait peur. »

Etrangement, la sincérité d’Hänwa claquait dans les airs. Elle n’avait alors pas honte ? Pas honte d’avouer qu’elle avait peur alors que l’autre semblait lui dire de ne pas la craindre … Non, elle se fichait pas mal de ce qu’elle pensait. Qu’elle la prenne pour une lâche si elle voulait. Elle aurait de quoi lui rétorquer : elle n’était pas lâche. En aucun cas. Résolument et ignorant totalement l’agressivité dont faisait preuve la dalmatienne, Hänwa déclara vivement :

« La délivrance ne se trouve pas dans la mort mais dans la vie. »

C’était tout à fait particulier, comme elle s’en faisait pour la vie des autres. Alors que ces autres semblaient lui vouer une haine indéniable. Mais elle ne voulait pas voir ça, ni même l’entendre. Oui, elles ne se connaissaient pas. Et oui, Hänwa s’inquiétait pour la vie de cette inconnue. Peut-être parce qu’au-delà de la méchanceté, elle voyait surtout la souffrance, celle qui étouffait cette gentillesse et cette bonté, enfouies en chacun de nous. Peut-être que ce besoin d’aider les autres était voué à l’échec, mais elle ne voulait pas pouvoir se reprocher de ne pas avoir, au moins, essayé.

« Viens avec moi. Nous essaierons de trouver à boire et de quoi manger. T’aventurer seule dans le gouffre de la mort n’est pas malin. Et s’il t’arrivait quelque chose ? »

Pourquoi voulait-elle m’aider ? Pourquoi ne me laissait-elle pas ? Je ne lui avais pourtant prêté aucune faveur. Je ne comprenais pas son raisonnement, sa bonté. Comment pouvait-on être si adorable envers des monstres ? J’étais un monstre. Depuis que les trois anges étaient partis, je n’avais fait que me défendre et me renfermer. J’étais devenue une pure méchanceté. Je ne tenais plus, je n’en pouvais plus, je voulais sentir le sable sous ma tête, je voulais en finir. Car sans eux, je n’étais rien, même si ça faisait quatre ans maintenant. C’était bon, j’avais assez souffert, là.

« Elle apporte la liberté, crois-moi. »

Je me retournais, me postant face à elle, elle avait l’air si gentille, s’en était pitoyable. Je cherchais encore le pourquoi du comment. Je voulais savoir ce qu’il l’amenait à m’aider. Elle était pathétique, elle voulait aider les autres. Alors que c’était connu, ici, c’est tu marches ou tu crèves, chacun pour soi. Mais, est-ce que ce monde était sérieux ? Ou bien voulait-il juste notre mort à nous aussi ? Il avait déjà enlevé les humains, fallait-il qu’il nous embarque aussi ?

« La vie est source de souffrance. Il faut toujours se défendre. Marcher ou crever. La mort nous guette à chaque seconde. Toi, comme moi, on mourra tous un jour où l’autre de toute façon. »

J’approchais. Mes coussinets brûlaient, mais je n’avais plus mal, le soleil me cramait le dos, je ne ressentais plus rien. Je n’avais qu’une envie, c’était d’en finir une fois pour toute. De toute façon à quoi bon vivre quand on est seule ? Je n’ai au final, jamais appris à me battre. Je me défends comme je peux, pour cacher mon mal être, mon malheur, ma peine. Je mords et je veux tuer par vengeance, même s’ils n’ont rien fait, eux. Je veux juste qu’ils souffrent tous comme je souffre, qu’ils comprennent ma rage.

« Mais pourquoi veux-tu m’aider ? Je ne tiens pas à te voir, je te l’ai fait sentir, mais tu restes là, avec ta mine d’ange. Que me veux-tu ? Pourquoi ne me laisses-tu pas mourir ici ? »

Dis-je avec un soupçon de reproche, je voulais qu’elle me laisse, qu’elle m’abandonne. Je voulais mourir seule, pour une fois. Pour une fois je ne tenais pas à partager ma souffrance.

Hänwa secoua la tête. L’idée de la mort vue comme une liberté la dégoûtait. La mort, ce n’était rien d’autre qu’une impression qu’on avait. Oui, une illusion. Si en plus elle était douloureuse, ne pouvait-elle pas se montrer plus vicieuse encore que la vie ? La mort n’avait pas de bons côtés. Ceux qu’on croyait voir comme tels n’existaient que dans notre esprit. Elle en était persuadée. Mais la jeune chienne attendit la suite des paroles de la dalmatienne pour répondre.

« La mort est synonyme de lâcheté. Je crois sincèrement que c’est à chacun d’entre nous de voir le bon côté de la vie, de contourner cette souffrance dont tu dis qu’elle est source. Si tu cherches à mourir, alors tu n’as rien compris à la vie. Il faut se battre. Pas se laisser aller, bêtement, passivement. Nous sommes nous-mêmes les maîtres de nos destins. C’est ce que je crois. Et si l’on doit mourir un jour, alors autant vivre et en profiter.»

La suite l’interpella. Pourquoi voulait-elle l’aider ? Hänwa ne répondit pas tout de suite. Le soleil qui tapait brutalement son dos la faisait souffrir. Elle n’aimait pas ça, elle avait trop chaud et elle voulait boire. Boire et manger. Mais il fallait qu’elle fasse un effort pour ne pas se laisser aller à la fatigue, à l’envie. Encore une fois, ce n’était pas le centre de la discussion. La jeune chienne des Pyrénées se reprit mentalement et sourit gentiment à la dalmatienne, avant de lui expliquer son point de vue :

« Parce que je crois sincèrement qu’on a tous besoin d’aide. Que seul, on ne peut pas grand-chose. Et parce que les pattes qui se tendent sont de plus en plus rares. Je sais que tu ne veux pas de mon aider. Pour l’instant. Mais je ne te laisserai pas mourir parce qu’au fond, je suis sûre que toi aussi, tu es destinée à aider quelqu’un, un jour ou l’autre. Et ta vie a trop de valeur pour la laisser filer. J’en suis convaincue. Tu n’es pas aussi méchante que tu le laisses paraître. Et même si tu me blesses, ne compte pas sur moi pour te laisser aller à cette lâcheté qu’est d’abandonner la vie. »

Son sourire, à l’origine discret, devint éblouissant. Au fur et à mesure que la grosse boule blanche se trouvait convaincue par ses propres paroles. Elle savait qu’elle n’avait pas tort et c’était là qu’elle puiserait sa force. Elle l’aiderait. Oui, elle dégageait de la gentillesse à perte de vue mais elle ne s’en souciait pas, mieux, elle ne voyait pas ce qu’il y avait de mal à ça. Ses yeux noirs s’illuminèrent et elle s’approcha, sans penser que son geste pourrait être mal pris, de la chienne noire et blanche.

« Alors ? Tu viens ? »

Nous étions les deux grandes opposées. Elle était douce, adorable, et tenait à la vie. J’étais détestable, brute et je m’en foutais de mourir, voir je n’attendais que ça. Elle avait ses propos, j’avais les miens. Ca s’arrêtait là. Je posais mon fessier dans le sable brûlant. Je commençais à avoir la bouche sec. Mais, je ne voulais pas l’avoir avec moi, je ne voulais pas me la coltiner encore longtemps. Cet ange tombé du ciel. Ca m’énervait, qu’est-ce qu’elle pouvait en avoir à faire de moi ? Qu’elle me laisse bon Lucifer – je ne voulais pas dire dieu – qu’elle m’oublie. Et le pire c’est qu’elle insistait pour que je vienne. J’avais envie de la mordre, me pendre à sa gorge, comme j’en avais l’habitude. Mais, je suis sûre que ça n’aurait rien fait, elle aurait continué à faire sa bonne âme.

Je me levais finalement et commençais à marcher. Tant pis, je l’ignorerai, comme si elle n’était pas là. Je trottinais, évitant le sable, mes coussinets souffraient beaucoup trop, désormais. Puis je pris le galop, ne me retournant pas, j’étais persuadée qu’elle me suivait à la trace. Elle avait même dû dire quelque chose, mais j’avais fait bien celle qui n’entendait rien, ou peut-être n’avait elle rien dit. Je n’entendais pas ces pas, mais je ne tenais pas à me retourner. Et puis, au final, je me stoppais, me retournant. Qu’est-ce que j’avais ? De la pitié sûrement. Pauvre grosse bête poilue, elle devait mourir de chaud. Je soupirais et tournais la tête. Le soleil avait choisis cet instant pour me faire tomber dans les vapes.

Ma tête tournait, en même temps il n’était pas conseillé de rester au soleil, c’était mortel. Surtout quand on avait soif. J’essayais de me retenir au sol, mais celui-ci se dérobait sous mes pattes et je vacillais. Lamentablement je m’écroulais au sol, le sable venant épouser ma tête, ça faisait un bien fou. Le noir complet. J’avais peur, comme si j’étais revenue en arrière, je me sentais plus petite. Et je revis ma mère et son regard sévère, sa haine. J’entendais un son flou, mon père ? Puis des jappements heureux, mes frères. Non je ne voulais pas encore les revoir, je ne tenais pas à souffrir encore… Une lèche se fit sur ma joue, me réveillant. Bon dieu, merci.

» Bonjour tout le monde,