La culpabilité.

La culpabilité
Libre*

Les psychologues disent que, lorsque l’on perd un être cher, on passe inévitablement par plusieurs sentiments avant d’être capable de faire entièrement son deuil. Le déni. Le refus. La peur. La culpabilité. La dépression. L’acceptation.

« La douleur quoi. »

Oui, pour Razmo’ ces sentiments n’étaient autres que différents états de la douleur que des hommes, soit disant instruits, avaient trouvé bon de nommer dans l’espoir de paraître plus intelligents qu’ils ne l’étaient.
Mais admettons. Admettons que ces hommes aient raison et, qu’effectivement, le long chemin vers le deuil était divisé en six étapes. Dans ce cas, Razmo’ en était à la phase de la culpabilité...

Deux longs mois. Deux longs mois que les hommes avaient disparus de Briganthia. Deux longs mois que Raphaël n’était plus là. Deux longs mois que Razmo’ s’était retrouvé à nouveau seul contre le reste du monde. Qui aurait cru qu’après tout ce qu’il avait vécu à cause des bipèdes, le husky serait capable de s’attacher autant à l’un d’entre eux et de trouver la vie si inutile et inintéressante sans lui.
Ces derniers temps, le chien-loup avait du mal à trouver le sommeil. Alors, en attendant ce doux moment de répits pendant lequel il pouvait momentanément quitter sa triste existence et rêver à de jolies choses, il pensait. Il pensait que peut être il aurait pu faire quelque chose pour sauver Raphaël, et il passait des nuits entières à se torturer les méninges pour trouver quoi. Ce jour là, il était dans un tel état d’épuisement, autant mental que physique, que c’est seulement une fois dans l’eau jusqu’aux épaules qu’il réalisa qu’il marchait. Tiré ainsi de ses pensées, Razmo’ s’arrêta et regarda autour de lui : ses pattes l’avaient menées jusqu’à la côte. Au loin, il pouvait distinguer une sorte d’île et, n’ayant de toute façon rien de mieux à faire, décida de s’y rendre.

Ayant une très mauvaise notion du temps, le husky était incapable de dire combien de temps lui avait prit la traversée. La seule chose qu’il pouvait affirmer était que nager lui fit du bien et détendit son vieux corps courbaturé par le manque de sommeil.
Arrivé à l’îlot central, Razmo’ issa son corps massif sur la roche et s’ébroua pour chasser l’eau de son épais pelage. Puis il fit quelques pas et s’allongeât sur le sol, laissant les rayons du soleil venir lui chauffer la peau. Entouré par ce silence, bercé par le bruit des vagues et croyant qu’il était seul, il ferma les yeux. Mais, vous vous en douterez, un autre chien était là et l’observait.

L’aboiement, aussi doux soit-il, fit sursauté Razmo’ qui, tout en poussant un grognement, se redressa brusquement avant de chercher des yeux son congénère inattendu. Il n’eu pas à scruter le paysage longtemps : sous les rayons du soleil, le chien blanc était comme auréolé par une lumière mystique et manqua d’éblouir le husky. Plissant les yeux, le chien-loup observa l’inconnue, la détailla. Elle n’avait pas l’air hostile et se trouvait à une distance raisonnable de Razmo’. Comme ça, le poil immaculé et illuminé, le corps fin et les oreilles dressées, on aurait dit un ange tout droit sorti d’un rêve.

« Pff, tu délires mon vieux... »

Pensa t-il.
Les minutes commençaient à passer et Razmo’ était resté totalement immobile. Pareil à une statue de marbre, il observait. Puis, dans un long soupir, il détacha enfin son regard de l’autre chien. Comme elle n’avait pas l’air hostile et se trouvait à une distance raisonnable de lui, il se permit de lui tourner le dos et de s’allonger à nouveau.
Il était fatigué. Il ne voulait pas parler. Il voulait être tranquille sur son ilot. Il voulait que l’autre parte. Il voulait être seul. Il voulait arrêter d’avoir mal au corps, au cœur, au crâne. Il voulait oublier. Il voulait dormir.

HJ: Je t’avouerais que je ne suis pas très fière de ce que je viens de pondre, mais je te promets de me rattraper =).

~~Saleté de Brevet~~

Des aboiements. Encore... Des bruits de pas : elle s’approchait.
Razmo’ avait envie de hurler. Non ! Vas-t’en ! Casses toi dans ton paradis, abrutie d’ange ! Mais il sera les dents pour s’en empêcher. Il devait se taire et se concentrer : s’il disait ne serait-ce qu’un seul mot, toutes ses émotions, tout son chagrin, tout son mal être le submergeraient et il ne serait plus en mesure de se contrôler. Il fallait qu’il se calme, qu’il pense à autre chose.
L’inconnue continuait d’avancer. Le léger bruit que faisaient ses pas dans le sable se rapprochait de plus en plus. Puis, le silence : elle s’était arrêtée. La brise légère rapporta la délicate odeur de la chienne aux narines du husky. Les muscles du mâle se contractèrent avec une telle force qu’il en tremblait presque. Sa respiration se fit saccadée. Razmo’ avait besoin d’un exutoire pour calmer ses nerfs et il le savait très bien. Aussi, il faisait absolument tout ce qui était en son pouvoir, rassemblant le peu de volonté et de sang froid qu’il lui rester, pour ne pas se jeter sur la Blanche et s’en servir comme d’un punching-ball.
L’ange ne du pas se rendre compte de la violence que refoulait le chien loup car elle s’approcha encore. A présent, elle était face à lui et le regardait dans les yeux. Toujours allongé, se noyant dans le regard bruns de l’inconnue et humant son odeur, Razmo’ se senti encore plus mal et ses yeux se firent implorant.

« Qui es-tu... »

Rassemblant force et courage il parvint, dans un souffle, à prononcer une unique phrase. Sa voix était rauque, fatiguée. A ce moment précis, le husky avait l’air d’avoir vécu des siècles sur cette terre.

regard.

- Vodka. -

- Et toi ? Qui es-tu ? -

Plusieurs minutes passèrent durant lesquelles l’appréhension dévorait Razmo’ de l’intérieur sans qu’il comprenne vraiment pourquoi. C’était comme si toute sa vie future dépendait de ce moment, l’instant où il allait connaître l’identité de l’ange.
Il paraît qu’il plus de six milliards d’hommes sur terre, et le husky supposait qu’il devait y avoir le double, voire même le triple, de chiens. Admettons : il y aurait donc dix-huit milliards de clébards sur la planète selon son raisonnement. Dix-huit milliards de congénères, et, à ce moment précis, un seul d’entre eux avait de l’importance aux yeux du chien loup. Ou plutôt une seule...

Puis vint la délivrance : Vodka.
La douce voix de la Blanche réchauffa le cœur de l’écorché vif.
Et toi ? Qui est tu ?
Qui était-il ? Un fantôme. C’était le seul qualificatif qui lui vint à l’esprit quand il entendit la question. Oui. Le chien loup, autrefois heureux, n’était plus qu’un fantôme à présent, une ombre... Une ombre seule qui subissait la vie et n’avait plus aucune utilité. Malgré tout, et ce dans un ultime effort, il répondit avant de s’arracher au regard de l’ange pour le tourner vers la mer.

« Razmo’. »

Il était du pour lui de prononcer le nom que son bienfaiteur lui avait donné. Il revit Raphaël, l’homme au cœur en or qui l’avait sauvé. Il se remémora la confiance, la patience et la tendresse dont il avait fait preuve envers lui, le chien agressif, presque dangereux, qu’il était à l’époque.
Le husky aurait voulu faire un effort supplémentaire pour discuter avec Vodka. Lui demander par exemple d’où elle venait. Mais se rappeler de la partie de sa vie qui avait était agréable lui faisait du bien, et il ne voulait pas que ça s’arrête.

Razmo

ce

loup

différent

Elle le fixait. Ça le gênait. Les seules personnes à avoir dévisagé Razmo’ de cette façon étaient celles qui, bien des années au par avant, l’avaient accusé d’être l’incarnation du Diable, et il refusait catégoriquement que l’Ange le prenne pour un démon. Alors il fuyait tant bien que mal le regard de la Blanche. Mais Vodka le retrouvait toujours.
Alors il se résigna. Où était donc passé son entêtement maladif ? Bonne question. Mais peu importait : il la laissât le regarder droit dans les yeux, ces yeux qui lui avaient causaient tant de souffrances, qui l’avaient rendu différant, unique, ces yeux qui avaient influencé sa vie, en faisant d’abord un véritable calvaire avant de la rendre agréable.

Le silence s’installa entre les deux canidés. Un silence rare, intense. Les deux êtres se découvraient à leur manière. Ils l’ignoraient peut être encore, mais ils étaient unis par une même souffrance : le souvenir de la douleur que leur avaient causé les hommes par le passé.
La nuit n’allait plus tarder à tomber et la marée commençait déjà à monter. Mais le chien loup n’y prêtât pas attention.

« Tu fixes souvent les gens comme ça ? »

Ce n’était pas un reproche, juste une banale question. La seule de toutes celles qui lui était venues à l’esprit qui n’était pas trop personnelle. Razmo’ fut soulagé de voir que sa voix n’était plus celle d’un papy’ agonisant et qu’elle avait retrouvait son intonation normale : calme, neutre et grave.